![]() |
|
Une querelle retentissante
agite, dans le dernier tiers du XVIIe siècle, les milieux littéraires
et mondains : il s'agit de savoir si les « Anciens » étaient
supérieurs aux « Modernes » ou si c'est l'inverse, autrement
dit laquelle l'emporte sur l'autre, des civilisations gréco-latine
et contemporaine. De 1653 à 1674 une première querelle porte
sur l'emploi et la conception du merveilleux en littérature : doit-il
rester païen, mythologique ou devenir chrétien ? Certains poètes,
qui rêvent d'épopées nationales et modernes ou de tragédies
chrétiennes et françaises, dignes de concurrencer les grands
modèles du passé, prétendent avoir détrôné
le merveilleux ancien au profit d'un merveilleux moderne. Les vérités
du christianisme ne doivent-elles pas inspirer les œuvres du siècle,
plutôt que les « fables » du paganisme ? La plupart des
poèmes écrits par les prétendus modernes que le nom
de leurs auteurs n'est plus guère connu que des spécialistes
de la littérature ; mais un parti des « Modernes » s'est
constitué, qui conteste les beautés et les supériorités
des Anciens.
En 1676-1677 l'affaire des inscriptions relance le débat : que choisir, du latin ou du français, pour les inscriptions ornant les monuments du règne de Louis XIV ? On tranche en faveur de la langue française, dont l'« excellence » ne peut plus être mise en doute. La société cultivée se scinde en deux clans, et l'opposition grandit entre d'un côté les doctes, l'« académie », les écrivains « classiques » (Boileau, Racine, La Fontaine, Bossuet, La Bruyère), tous ceux qui militent pour une littérature nourrie de culture « humaniste », et de l'autre des poètes galants, des esprits curieux (comme Perrault ou Fontenelle), des mondains,des parvenus, tous ceux qui veulent une littérature de divertissement et préfèrent les genres nouveaux (opéra, conte, roman romanesque,...). Les personnes et les cabales ont plus de poids dans le conflit que les principes,... et l'on échange davantage d'insultes que de raisonnements ! Seul, le Traité du sublime (1674), traduit du grec par Boileau, essaye d'élever le débat en célébrant la grandeur et la noblesse des pensées et des images homériques. La situation évolue vers un divorce entre le public parisien et mondain, et l'élite vieillissante des grands « classiques », qui domine encore à la Cour. L'acte le plus dramatique de la pièce - la « Querelle » proprement dite - est constitué par le duel sans merci que se livrent de 1687 à 1694 l'« Ancien » Boileau et le « Moderne » Perrault. Ce dernier met le feu aux poudres en lisant à l'Académie, en 1687, un poème, Le Siècle de Louis le Grand, qui vante la supériorité éclatante du règne de Louis XIV sur l'Antiquité. Boileau et ses amis s'enflamment : La Fontaine défend les Anciens dans son Épître à Huet, en 1687 ; Fontenelle, dans sa Digression sur les Anciens et les Modernes, en 1688, oppose le cartésianisme à la superstition de l'Antiquité ; La Bruyère lui répond par des moqueries dans Les Caractères en 1688. Quant à Perrault, il maintient son point de vue dans une suite de Parallèles des Anciens et des Modernes, qu'il publie de 1688 à 1697 ; Boileau réplique en 1694 dans ses Réflexions sur Longin. La réconciliation entre les deux ennemis, survenue en 1697, ne peut cependant masquer que l'avantage reste aux idées des Modernes, plus séduisantes et mieux adaptées à l'évolution du siècle. Un dernier épisode se joue en 1713-1714, celui de la querelle homérique. Homère était depuis longtemps une pomme de discorde ; certains contestaient son existence, critiquaient ses fautes de goût, ses maladresses, sa « naïveté », ses bizarreries ; bref, on doutait de son génie. Un poète, Houdar de La Motte, qui ignore le grec, entreprend de donner une version abrégée et remaniée de l'Iliade en 1713 ; ce sacrilège lui attire les foudres d'une savante helléniste, Mme D'acier, et la polémique fait rage de nouveau. Fénelon s'interposa avec sa Lettre à l'Académie de 1714, mais sans réussir à briser le scepticisme que le public nourrit désormais à l'égard des ouvrages antiques. |