L'histoire de Tartuffe ou l'Imposteur, comédie en cinq actes et en vers, symbolise la lutte que mène Molière contre les travers de son temps et l'hostilité qu'elle suscite.
En mai 1664 se succèdent à Versailles des fêtes somptueuses agrémentées de spectacles regroupés sous le titre Plaisirs de l'île enchantée. Molière, alors au comble des faveurs du roi, joue plusieurs de ses pièces avec sa troupe : la Princesse d'Élide le 8, les Fâcheux et le Mariage forcé le 11 ; le 12, Tartuffe, en trois actes. On ignore si cette version de Tartuffe était complète, ou si, le roi ayant hâte de voir la pièce, elle ne comportait que les trois premiers actes de la version que nous connaissons aujourd'hui et qui était alors inachevée. Toujours est-il que Louis XIV et la cour apprécient la comédie, mais qu'Anne d'Autriche, la reine-mère, elle-même fort dévote, s'en irrite, et avec elle son entourage : une cabale naît alors, menée par le parti dévot, à la tête duquel se trouve l'archevêque de Paris, qui intervient auprès du roi. Louis XIV est obligé de déclarer à Molière qu'il ne « faut pas irriter les dévots » : Tartuffe est donc interdit de représentation publique.
En juillet, Molière et sa troupe jouent devant le représentant du Pape en France, et obtient la permission de lire sa pièce à ce dernier et aux prélats qui l'entourent : mais bien que tous donnent leur approbation, Molière n'est toujours pas autorisé à la jouer en public.
La cabale redouble d'efforts contre le Tartuffe, et le curé de la paroisse de Saint-Barthélemy adresse au roi un pamphlet qui regorge d'attaques haineuses et stupides contre Molière, qui n'est rien d'autre qu'un « démon vêtu de chair et habillé en homme » et qui mérite « par cet attentat sacrilège et impie un dernier supplice exemplaire et public, et le feu même, avant-coureur de celui de l'enfer ».
Contre ces attaques qui le vouent au bûcher, Molière se défend de façon modérée, et adresse au roi en août un écrit pour se faire rendre justice : « J'ai cru que, dans l'emploi où je me trouve, je n'avais rien de mieux à faire que d'attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et comme l'hypocrisie sans doute est un des plus en usage, des plus incommodes et plus dangereux, j'avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les gens de votre royaume si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mît en vue comme il faut toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion ».
Mais rien n'y fait : le Tartuffe ne peut être lu ou représenté qu'en privé, toute représentation publique demeurant interdite. Et malgré le soutien d'un certain nombre de hauts personnages qui demandent à Molière de jouer ou de lire sa pièce devant eux, les dévots redoublent de zèle, d'autant plus que Molière, le 15 février 1665, donne Dom Juan, qui ne contient pas moins d'audaces que le Tartuffe et qui suscite de nouvelles attaques et des accusations insensées. Le roi cependant conserve sa confiance à Molière, que toute cette hostilité a rendu malade : sa troupe, dotée d'une pension très importante, devient celle des « comédiens du roi ».
Puis les principaux meneurs du parti dévot, dont Anne d'Autriche, meurent, mais Molière est encore en proie aux attaques et n'est toujours pas guéri : en avril 1666, ses ennemis répandent le bruit de sa mort.
Et puis, brusquement, Louis XIV change d'avis : avant de partir en campagne, il autorise verbalement une représentation publique de la pièce, moyennant quelques coupures et quelques modifications, dont nous ignorons tout. En tout cas, la pièce est jouée sur la scène du Palais-Royal le 5 août 1667, sous le titre l'Imposteur, mais Tartuffe est devenu Panulphe, et, au lieu d'être vêtu comme un homme d'église, il porte les habits d'un gentilhomme : le public lui fait un triomphe, mais le lendemain, le premier président du parlement, Lamoignon, qui a tous pouvoirs en l'absence du roi, interdit la pièce et fait placer des gardes à la porte du théâtre.
Molière obtient de rencontrer ce haut personnage, qui lui adresse la réponse que voici : « Monsieur, je fais beaucoup de cas de votre mérite, je sais que vous êtes non seulement un acteur excellent, mais encore un très habile homme, qui faites honneur à votre profession et à la France. Cependant, avec toute la bonne volonté que j'ai pour vous, je ne saurais vous permettre de jouer votre comédie. Je suis persuadé qu'elle est fort belle et fort instructive ; mais il ne convient pas à des comédiens d'instruire les hommes sur les matières de la morale chrétienne et de la religion : ce n'est pas au théâtre de se mêler de prêcher l'Évangile. Quand le roi sera de retour, il vous permettra, s'il le juge à propos, de représenter le Tartuffe ; mais pour moi je croirais abuser de l'autorité que le roi m'a fait l'honneur de me confier pendant son absence si je vous accordais la permission que vous me demandez ».
Molière charge alors deux de ses comédiens favoris de se rendre à Lille, où se trouve le roi, et de lui remettre un texte expliquant la situation ; mais Louis XIV, inquiet des résistances auxquelles se heurte la comédie, remet sa décision à plus tard.
En septembre 1668, le roi étant de retour, une représentation du Tartuffe, qui a subi de nouvelles modifications, a lieu à Chantilly, et Louis XIV, pour remercier Molière d'avoir diverti la cour en composant en quelques mois Amphitryon, Georges Dandin et l'Avare, autorise la représentation publique de la pièce. La première a lieu le 5 février suivant : c'est un véritable triomphe, et cinquante représentations ont lieu jusqu'au mois de mai. Immédiatement imprimée, le 23 mars 1669, puis réimprimée le 6 juin, sans compter les nombreuses contrefaçons, la pièce est reprise dix-huit fois en 1670, neuf fois en 1671 et cinq fois en 1672.